Aux États-Unis, la grande course pour les présidentielles a démarré avec le caucus de l’Iowa qui a eu lieu le 1er février 2016. Lors de cet événement, les électeurs votent pour choisir le candidat de leur parti qu’ils veulent voir concourir comme président. Du côté du Parti démocrate, le sénateur Bernie Sanders a créé la surprise grâce à l’appui massif du vote des jeunes face à la favorite Hillary Clinton. En effet, 84% des électeurs démocrates de moins de 30 ans et 54% des 30-45 ans ont préféré Bernie Sanders à Hillary Clinton. Une popularité parmi les jeunes qui dépasse celle de Barack Obama qui avait eu la faveur de 57 % d’entre eux lors du caucus de 2008, déjà face à Clinton.
C’est un véritable gouffre politique qui sépare ici les générations. Doté d’un air de ressemblance avec Doc, le savant fou de « Retour vers le futur », Bernie Sanders, âgé de 74 ans, est un sénateur du Vermont, l’unique se réclamant du socialisme à la chambre des députés US. Comment expliquer cet engouement des jeunes pour ce candidat aux antipodes de la coolitude affichée par Obama ?
Un programme économique qui correspond aux préoccupations des jeunes américains
En mai 2015, une enquête réalisée parmi les étudiants américains indique que leurs préoccupations principales se portent sur le changement climatique, la réduction de la dette étudiante, le coût des études, la création d’emplois, l’égalité d’accès aux opportunités économiques et l’impasse politique à Washington. La moitié des jeunes américains entre 18 et 35 ans pensent qu’ils devront faire face à un futur plus sombre que celui de leurs parents. L’accession à la propriété privée est à son plus bas depuis un demi-siècle, les emplois sont précaires, faiblement rémunérés, et les jeunes ont peu de perspective d’une hausse de niveau de vie. Le programme économique de Sanders intègre un grand nombre de ces préoccupations : il veut rendre la scolarité gratuite dans les collèges et les universités publiques, réglementer Wall Street, il dénonce avec force et énergie le changement climatique. Le sénateur appelle également à briser le pouvoir des grandes banques, il veut augmenter les tranches d’impôts pour les plus fortunés, établir des soins de santé universels et augmenter le salaire minimum à 15 $ de l’heure. De plus, les jeunes américains sont beaucoup moins méfiants que leurs ainés vis-à-vis du socialisme démocratique prôné par Bernie Sanders. Ils ont grandi dans un monde bien plus marqué par les défaillances du marché que par les rivalités de la Guerre froide.
Une campagne « grassroots » menée directement pas des jeunes sur le web et le terrain
La campagne de Bernie repose essentiellement sur des volontaires très actifs dans leur communauté (les « grassroots organizer ») ; ils organisent des récoltes de fonds, des événements et des soirées pour faire connaître les idées de leur candidat. Au contraire de la machine bien huilée d’Hillary Clinton brassant des millions de dollars, chez Sanders, la campagne est un modèle d’organisation décentralisé et participatif. L’autonomie et le Do It Yourself, y sont encouragés dans l’esprit du mouvement Occupy Wall Street. Les partisans les plus geek ont également mis leurs compétences au service de la campagne en créant des sites Internet spécifiques et en développant des applications.
Ce mode de fonctionnement est très adapté aux réseaux sociaux où le candidat a inspiré un nombre important de hashtags et mème. Il est suivi sur Facebook par près de 2,7 millions de personnes – soit 250.000 personnes de plus que Clinton -, alors qu’il était encore inconnu du grand public il y a peu de temps. Le niveau d’engagement sur ses post individuels est également le plus élevé parmi les candidats à la présidentielle, c’est lui qui compte le plus de personnes aimant ses messages, partageant son programme et commentant ses réflexions. Soutiens online et soutiens actifs s’imbriquent et se renforcent l’un l’autre ; une habilitée des plus jeunes pour qui la « vie digitale » n’est qu’une excroissance de la « vie réelle ».
Un message perçu comme honnête et inclusif
Alors que la campagne d’Hillary Clinton est fortement tournée vers sa propre personne, Sanders ne se mentionne que très rarement dans ses discours. Sa communication politique s’articule autour d’un « NOUS » qui doit s’organiser contre l’establishment américain et les milliardaires qui ont selon lui confisqué l’économie. C’est à une « une révolution politique » qu’il veut aboutir et non à sa propre élection. Pour la chercheuse en communication et culture populaire, Liesbet van Zoonen, « son succès est dû à sa politique beaucoup plus qu’à son personnage — les jeunes ne sont pas stupides, ils ne vont pas aller vers un candidat qui tente désespérément d’être cool. Les fêtes et les mème sont l’expression d’un sentiment de joie qu’il y ait enfin un candidat qui parle de leurs préoccupations. »
Mehdi Tekaya
Chargé de communication Asbl JOC