Comme nous avons eu pour habitude de le dire durant cette crise, le mot d’ordre est « à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ». Nous sommes bien conscients qu’aucune réponse ne sera pleinement satisfaisante et qu’il est capital de prendre en compte toutes les réalités. Sans être exhaustifs, nous suggérons dans cet article quelques pistes pour préparer la rentrée annoncée (pour le 18 mai ?) et concevoir l’année scolaire 2020-2021.
1. Pourquoi renvoyer les élèves à l’école ?
Il apparait aujourd’hui important que les élèves reprennent doucement le chemin de l’école. Mais ne vous méprenez pas, nous ne défendons pas l’idée selon laquelle il faudrait les y renvoyer pour que les parents puissent retourner au boulot ; non, l’école n’est pas une garderie. Elle doit rester ouverte pour aider les parents qui doivent travailler, mais pas pour permettre aux parents d’aller travailler. La nuance est importante car ce serait un argument indéfendable d’un point de vue sanitaire. Si nous pensons qu’il serait préférable que les enfants et adolescents retournent en classe, c’est avant tout parce qu’ils ont besoin de se reconnecter à la vie scolaire et sociale. L’école revêt une dimension pédagogique et aussi humaine. Aujourd’hui, il convient évidemment d’éviter qu’un certain retard d’apprentissages ne s’accumule ; notons cependant qu’il est bon de relativiser la profondeur de ce retard, car les élèves ont eu cours jusqu’au 13 mars, cette année scolaire n’est donc pas perdue. Les semaines sans cours engendreront certes des lacunes qu’il faudra combler, mais celles-ci ne seront pas insurmontables. Surtout, nous pouvons espérer une certaine souplesse des professeurs qui, lorsque la prochaine année scolaire débutera, seront conscients des potentielles fragilités de leurs nouveaux apprenants. Nous ne le dirons jamais assez, mais le caractère inédit de la crise impose(ra) à tous les acteurs de s’adapter à une réalité bousculée. Ce qui importe avant tout c’est de s’assurer que les élèves ne se déconnectent pas trop de l’école. Beaucoup s’essoufflent de « télé-apprendre » et certains ont totalement décroché. Et ne parlons même pas du renforcement des inégalités qu’induit la crise actuelle. Un retour à l’école permettra aux élèves d’avancer dans leurs apprentissages, de retrouver un cadre scolaire mais aussi et surtout d’échanger, de partager, de retrouver leurs camarades de classe.
2. Comment renvoyer les élèves à l’école ?
Selon nous, la reprise des cours devrait se faire de manière graduelle et analogue dans toutes les communautés de Belgique. Le retour à l’école doit être sécurisé, partiel et adaptatif. Les différents acteurs qui l’envisagent ne doivent pas faire l’économie d’un schéma bien défini au préalable. Effectivement, le virus ne va pas se volatiliser, nous devrons apprendre à vivre avec lui, il s’agit donc d’élaborer un plan de reprise viable qui tienne compte de tous les éléments de l’équation. Nous insistons particulièrement sur la nécessité de prendre en considération les réalités de terrain. Les contraintes liées aux infrastructures (nombre et grandeur des locaux, des espaces récréatifs…), au personnel (disponibilité des professeurs et autres acteurs, égard à ceux qui sont à risque…), aux factualités extérieures (gestion des transports en commun…) doivent être pleinement étudiées. Nous devrons probablement apporter des réponses différentes en fonction des établissements. Toutefois, plusieurs lignes directrices nous semblent souhaitables voire indispensables.
Premièrement, la sécurité sanitaire des élèves mais aussi de l’équipe pédagogique doit être une absolue priorité. Les enseignants et autres protagonistes de l’école sont des êtres humains que nous ne souhaitons aucunement voir assimilés à de la chair à canon. Pour veiller à la santé de tout un chacun, l’accès à des tests de dépistage, la mise à disposition de masques et la prévoyance en suffisance de gel hydro-alcoolique sont des prérequis indispensables avant d’entrevoir un potentiel retour en classe. Et au-delà du matériel obligatoire de protection, des consignes et balises claires doivent être mises en œuvre. Il est en effet difficile d’imaginer que la distanciation sociale telle qu’on l’entend aujourd’hui puisse être poursuivie dans les meilleures conditions au sein des établissements scolaires, ceux-ci n’étant pas des lieux prévus pour assurer une distance d’1m50 entre ses locataires. Cela implique que des gestes barrières, bien essentiels pour se protéger du virus, et des règles de vie doivent être appliqués. Une occupation alternée des locaux et un nettoyage plus régulier que de coutume de ces derniers doivent par ailleurs être aménagés. Pour désengorger un peu les établissements, il serait sans doute concevable de diviser les classes en sous-groupes, ou de répartir les cours sur des demi-journées avec certaines classes qui auraient cours le matin, d’autres l’après-midi, ou encore de diminuer la semaine de 5 jours de cours à 2 ou 3 journées seulement. L’important est de veiller à ce que les groupes ne se mélangent pas afin de limiter les risques de contamination. Il est clair également que des directives en cas d’infection doivent être communiquées aux écoles afin que celles-ci puissent réagir au plus vite.
Deuxièmement, après s’être assuré d’avoir tout mis en œuvre pour protéger tant les élèves que les professeurs, nous souhaitons que l’école reprenne progressivement, étape par étape, à savoir classe par classe. Nous pensons que les élèves de rhétorique, de sixième secondaire ou encore de septième année professionnelle doivent retourner en premiers à l’école. La raison est assez simple. Dans quelques mois, ceux-ci auront, pour la plupart, une nouvelle histoire à mener. Les uns décideront de débuter un nouveau chapitre dans l’enseignement supérieur ; les autres choisiront d’entamer leur parcours professionnel. Parce qu’il est justement indispensable que ces élèves puissent finaliser et fixer les apprentissages essentiels à l’approche de leurs nouveaux défis, ce sont eux qui doivent prioritairement regagner les bancs de l’école. Une fois cette première étape franchie avec succès, et si et seulement si la situation sanitaire le permet, nous estimons qu’il serait bon que d’autres classes puissent graduellement réintégrer l’école. Nous pensons évidemment aux élèves de première année qui rencontrent plus d’obstacles face à un apprentissage à domicile exigeant beaucoup autonomie, mais aussi à ceux qui arrivent en fin de degré, les deuxième et quatrième années. Ce retour progressif de tous les écoliers doit être un horizon sans être une obligation, car il dépend de l’évolution de la situation sanitaire dans notre pays. Pour autant, quelle que soit la date de reprise des dernières classes, même s’il s’agit de la mi-juin, nous sommes convaincus que cela en vaut la peine. Car comme expliqué précédemment, l’important est de reconnecter les élèves avec leur école.
Cette rentrée échelonnée, nous permet d’aborder notre troisième point. Toutes les classes ne retourneront pas à l’école aux mêmes dates et certains élèves resteront donc plus longtemps à la maison. Ils devront alors encore composer avec cet enseignement à distance proposé depuis le début du confinement. Or, ce passage par le numérique n’est clairement pas la panacée, notamment parce que certains n’ont que peu voire pas accès aux exercices et cours en ligne. Dès lors, en attendant qu’un retour physique en classe soit envisageable pour tous, il faut pouvoir proposer de réelles aides pour les élèves subissant de plein fouet la fracture numérique, renforçant de ce fait les inégalités sociales dans le monde scolaire. Certaines dispositions ont déjà été prises afin de leur fournir du matériel, continuons dans ce sens. Les appels aux dons pour financer du matériel, les partenariats avec les asbl, le reconditionnement dans un court délais des outils informatiques défectueux, la mise à disposition d’ordinateurs et imprimantes qui seraient inutilisés dans les entreprises… Pensons aussi, pour l’avenir, à peut-être faire appel à un principe de partenariat-public privé encadré par des garde-fous. En temps de crise, soyons ingénieux !
Quatrièmement, il ne faut pas sous-estimer le facteur psychologique. La situation engendre son lot de complexités et d’incertitudes auprès des élèves, et de leur famille, qui ont vu leur quotidien et leur réalité complètement chamboulés. Cet aspect psychique doit être pris en compte et un soutien doit être mis en place. Si nous voulons que tout se passe bien, qu’ils grandissent, apprennent, s’épanouissent dans de bonnes conditions, nous devons préserver la santé physique de nos apprenants, mais également leur bien-être mental. Sans doute serait-il envisageable d’inclure dans les horaires des temps d’explication et de réflexion autour de cette crise. D’une part, il serait pertinent de prévoir des moments où l’on explique aux élèves comment et pourquoi se protéger et protéger les autres, car si les règles sont comprises par ces derniers, ils les appliqueront plus facilement. D’autre part, il serait bénéfique d’avoir des moments où les élèves puissent se confier ; des tables de discussion ou des entretiens privés, des moments de partage ou d’introspection pourraient ainsi voir le jour afin que chacun puisse déposer son ressenti, exprimer ses peurs et trouver du réconfort. L’école doit être un lieu rassurant.
Le cinquième et dernier point nous permet de revenir avec une revendication chère à notre organisation de jeunesse et déjà exprimée lors d’une campagne sur le Pacte d’excellence : revoyons les rythmes scolaires ! S’il ne s’agit certes pas d’une urgence, la situation nous invite à reconsidérer ces rythmes en vue d’aider à pallier le temps perdu. À l’approche des sacro-sainte vacances d’été, il serait bon de profiter de cette période pour diminuer le retard accumulé ou combler les matières imparfaitement assimilées. Juillet et aout, nous nous en doutons déjà, seront sans nuls autres pareils ; organisons pour les élèves des dispositifs d’accompagnement et de remise à niveau afin d’éviter des redoublements plus nombreux dans les prochaines années. L’idée, ici, serait, par exemple, de permettre à quiconque le souhaite, et dans la pleine gratuité, de suivre des cours auxquels il n’a pas pu participer pendant le confinement et d’ainsi pouvoir consolider un peu mieux certains apprentissages. Pour les enseignants qui se porteraient volontaires à la dispense de ces cours de remédiation, il va sans dire qu’une juste récompense en deniers serait la bienvenue.
3. Comment gérer l’année prochaine ?
Il est bien entendu primordial de d’abord penser à aujourd’hui et de trouver des solutions aux problèmes actuels. Nous nous permettons cependant de déposer ici quelques proposions pour l’année académique 2020-2021.
Tout d’abord, les futurs étudiants ne seront pas fins préparés comme leurs prédécesseurs à pousser les portes de l’enseignement supérieur. Il nous parait par conséquent utile de prévoir des cours préparatoires gratuits pour leur entrée dans de prochaines études. Les hautes écoles ou universités sont particulièrement à même de pointer les prérequis dont auront besoin leurs futurs étudiants. Dans ce cadre, celles-ci pourraient organiser des cours préparatoires appropriés à la situation. Certaines mettent déjà à disposition des cours préparatoires d’été, il s’agirait ici de les adapter, de les rendre plus généraux que d’habitude et de considérer les éventuelles déficiences générées par la crise. Ces cours spécifiques pourraient avoir lieu la première quinzaine de septembre, voire dès la fin du mois d’aout.
Ensuite, quelle que soit la date de reprise des cours dans les écoles secondaires, les élèves ne seront pas formés de la même manière et n’auront probablement pas acquis toutes les compétences habituellement attendues pour accéder à l’année suivante. Pour que les professeurs puissent s’appliquer à les remettre sur les rails, il importe de leur donner l’occasion de s’organiser. Il faut leur accorder le temps de se consulter, la permission d’adapter les programmes et les moyens d’installer des cours de remédiation pour l’année scolaire à venir. N’oublions pas également que la question de la pénurie est toujours d’actualité et que les bouleversements occasionnés par la situation ne vont que l’accentuer, il est donc plus que nécessaire de donner aux directeurs d’école la liberté et la possibilité d’engager du personnel supplémentaire.
Enfin, le confinement a mis en lumière les carences numériques qui sévissent au sein de certains établissements scolaires… Qu’elles soient de l’ordre des nécessités matérielles ou de la performance humaine, il est substantiel de résoudre, dans les prochaines années, ces insuffisances. Il convient d’encourager les écoles à entrer davantage dans l’ère du digital en leur prodiguant en suffisance un équipement fonctionnel et adéquat et en leur offrant de bonnes formations aux outils numériques.
S’il est vrai que nos indications et propositions paraissent ambitieuses, il n’en reste pas moins évident que face à cette situation sans précédent, nous devrons sans nul doute faire appel à des moyens considérables et à des ressources insoupçonnées.
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